Assise sur un banc, je regarde les autres vivre.

Je suis dans un parc, sous un arbre. Les enfants jouent et rient, ils appellent leurs parents pour leur montrer leurs découvertes, l’échelle qu’ils arrivent enfin à monter, le nouveau copain qu’ils viennent de se faire. Des petites choses à nos yeux d’adultes, des exploits pour eux.

Tout respire la joie et la vie. Je peux voir le monde bouger, je peux voir les choses en mouvement, je peux voir les émotions, les vibrations …. avec détachement, comme un observateur extérieur, une étrangère, comme quelqu’un qui ne fait plus partie de tout ça.

 

dépression

 

Et il y a cette femme à côté de moi, j’ai l’impression de la connaître … ou du moins l’impression de l’avoir connue. Elle est là avec son enfant, elle le surveille des yeux, lui sourit quand il l’appelle, lui fait des signes de main, l’écoute attentivement raconter ses nouveaux exploits, va l’aider à en accomplir de nouveaux, le mange de bisous. Elle à l’air heureuse, je crois.

Je suis à l’arrêt de bus et je regarde les autres vivre.

Ce mouvement … il m’hypnotise.  Les voitures défilent et autant de gens différents à leurs commandes : les pressés, les inquiets, les joyeux, les insouciants, les vieux, les jeunes. Je les regarde se presser, flâner, penser et tout ça me parait si loin. Je suis là sans y être maintenant, c’est comme ça quand on est morte.

La femme du parc est là, à quelques mètres de moi. Elle parle avec une vieille dame, certainement de la pluie et du beau temps, mais elle à l’air de bonne humeur, elle sourit même. Je me souviens que moi aussi, il y a longtemps, je souriais.

Je suis dans ma famille et je les regarde vivre

Bien évidement, ils ne savent pas que je suis là. Je ne peux le dire à personne … vous imaginez le bazar si je le faisais ?

Pourtant j’ai failli, plus d’une fois … j’ai lancé des mots, puis des phrases; mais à quoi bon finalement. Les inquiéter ? Leur faire peur ? Quel intérêt ! C’est déjà un tel fardeau pour tout le monde d’avoir à gérer quelqu’un de mort.

Je pense que certains m’ont aperçu quelques fois, mais ils ne m’ont rien dit, surement par pudeur ou par peur. Je ne leur en veut pas, je ne leur en voudrait jamais.

Et si j’arrêtais de regarder les autres vivre ?

Ça m’a traversé l’esprit, un jour, comme ça, sans prévenir. Et si j’arrêtait tout ? Fini le vide et la solitude, je ne souffrirais plus et je ne ferais plus souffrir personne. Ça semblait tellement simple, tellement logique, tellement altruiste. Nous serions tous tellement mieux après.

Et puis la peur. La prise de conscience . Le déclic.

J’ai repensé à la femme du parc, à ses sourires, mais surtout à ses yeux … ses yeux morts qui, eux, ne riaient pas.

Puis j’ai regardé son fils, mon fils, l’amour de ma vie, mon rayon de soleil, ma lumière, qui avait et aurait toujours besoin de moi.

J’ai donc décidé d’affronter cette femme qui je ne reconnaissais plus et qui me dégoûtait. J’ai décidé de la « réintégrer » , de ne plus la nier, de ne plus la détruire et surtout de ne plus la laisser tomber. Il fallait que je revienne dans le mouvement.

Et j’ai su … j’ai su que je n’étais pas morte, pas encore … j’étais seulement éteinte.